Droits de l’homme, Égalité des sexes et JEDI, Plaidoyer

Pass the Mic : Le point de vue d’une survivante sur le rôle des sages-femmes dans le soutien aux victimes de la violence fondée sur le genre

ICM
1 décembre 2024

Pour les 16 jours d’activisme contre la violence fondée sur le genre, nous avons passé le micro à Asma Begum, survivante, militante et fondatrice de l’organisation caritative Soul Sisters, basée au Royaume-Uni. 

Asma est une coach britannique et bangladaise spécialisée dans la lutte contre les violences domestiques et met son expérience au service des autres. Après avoir subi des années de violence fondée sur le genre dans son mariage, elle a quitté cette relation abusive six ans et demi plus tôt, motivée par le désir de protéger son fils. Par l’intermédiaire de son organisation caritative, elle soutient les survivants, sensibilise les communautés à la violence fondée sur le genre et fait campagne en faveur de politiques plus fortes pour protéger les femmes.   

Dans cet entretien, Asma raconte son histoire et ses réflexions sur le rôle clé que peuvent jouer les sages-femmes dans l’identification de violence fondée sur le genre et le soutien des femmes victimes.   

Q : Racontez-nous votre histoire et comment vous vous êtes lancée dans le plaidoyer contre la violence fondée sur le genre.   

J’ai toujours voulu construire une vie où je pourrais aider les autres. Mon parcours a commencé par une éducation libérale au Royaume-Uni, où j’ai poursuivi des études supérieures et une carrière réussie dans la banque d’affaires. À 29 ans, j’ai contracté un mariage qui semblait prometteur, mais il s’est rapidement transformé en une relation néfaste.   

Dès le début, mon mari a exercé son contrôle sur moi, il me dictait ce que je devais porter, surveillait mes communications et m’isolait de mes amis. Cette situation a dégénéré en violence verbale, en contrôle financier et en violence physique et sexuelle. Je me le reprochais souvent, car je pensais que ces comportements faisaient partie intégrante du mariage.   

Lorsque je suis tombée enceinte, les mauvais traitements ont empiré. Je me rendais seule aux rendez-vous, je cachais la vérité aux professionnels de santé et je cherchais des excuses pour justifier l’absence de mon mari. Après la naissance de mon fils, j’ai atteint un point de rupture. La maltraitance ne se limitait pas à moi – elle commençait à nuire à mon enfant sur le plan émotionnel. J’ai compris que je devais rompre ce cycle, pour moi et pour mon fils.    

Il n’a pas été facile de partir. J’ai secrètement planifié mon évasion, rassemblant des documents, des objets essentiels et le courage de m’enfuir. Lorsque je suis finalement partie, j’ai emménagé dans un refuge et j’ai commencé à reconstruire ma vie. Aujourd’hui, je m’efforce d’autonomiser les femmes confrontées à de telles difficultés, en leur faisant savoir qu’elles ne sont pas seules et qu’elles disposent du soutien dont elles ont besoin pour faire le même pas courageux. 

 

Q : Quel rôle votre sage-femme a-t-elle joué dans le soutien que vous avez reçu après avoir signalé la violence fondée sur le genre?   

Pendant ma grossesse, j’ai rencontré plusieurs sages-femmes lors de rendez-vous prénataux. Même si elles remarquaient l’absence de mon mari et posaient des questions, je ne me sentais pas à l’aise pour me confier. À cette époque, j’étais effrayée et je ne savais pas comment décrire ma situation ni même reconnaître qu’il s’agissait de mauvais traitements. Souvent, les victimes manquent de clarté ou de confiance pour décrire ce qu’elles ont vécu. Avec le recul, des questions plus spécifiques et plus ouvertes, comme «Vous sentez-vous en sécurité chez vous?», auraient pu m’encourager à me confier. Je pensais aussi que je devais passer plus de temps avec elles pour me libérer.  

Après avoir signalé les mauvais traitements à la police, une sage-femme s’est rendue à mon domicile pour vérifier mon bien-être (pratique habituelle au Royaume-Uni en cas de signalement de violence fondée sur le genre par des femmes accompagnées d’enfants en bas âge). Elle a fait preuve de gentillesse et d’attention en s’assurant de la santé de mon bébé et en vérifiant la sécurité de mon domicile. Cependant, ses questions n’étaient pas assez directes pour m’aider à parler de ma relation et à obtenir un meilleur soutien et une meilleure protection. Les survivants ont souvent besoin d’une invitation claire et compatissante pour se confier.  

Même si mes sages-femmes m’ont soutenue, une meilleure formation et de meilleures ressources leur auraient permis de faire plus pour me guider pendant la grossesse et après avoir dénoncé mon agresseur.  

 

Q : Comment les sages-femmes peuvent-elles reconnaître les signes de violence fondée sur le genre? Quelles sont les actions spécifiques à mener pour que les victimes se sentent en sécurité, soutenues et responsabilisées?   

Pour reconnaître la violence fondée sur le genre, il ne faut pas se contenter de remarquer des signes physiques tels que des ecchymoses. Des indices de comportement, comme éviter le contact visuel, annuler fréquemment des rendez-vous ou se renfermer, peuvent également indiquer de mauvais traitements.   

Les sages-femmes doivent prendre le temps de poser des questions ouvertes et donner aux femmes la possibilité de s’exprimer. Le simple fait de demander «Comment ça va à la maison?» ou de créer des moments d’intimité pendant les rendez-vous peut encourager un survivant à s’ouvrir.   

Un support pédagogique est également essentiel. De nombreuses femmes ne réalisent pas tout de suite qu’elles sont victimes de maltraitance. Distribuer des brochures expliquant ce qu’est la violence fondée sur le genre peut être la première étape pour permettre à une victime à identifier sa situation et à demander de l’aide.   

Si les sages-femmes remarquent un élément inquiétant, elles doivent le consigner dans le dossier de la patiente et lui fournir les coordonnées des services d’aide locaux. Une tenue systématique des dossiers est essentielle pour assurer la continuité des soins, et fournit également un dossier précieux dont les victimes peuvent se servir si elles décident d’intenter une action en justice contre l’auteur de l’agression. 

La perception des autres à mon égard a constitué un défi pour moi. J’étais une femme professionnelle qui avait l’air bien dans sa peau, et beaucoup de gens n’arrivaient pas à croire que je vivais de tels mauvais traitements. À cause de ces préjugés, mes expériences étaient souvent rejetées ou négligées. Il est important que les professionnels de la santé aillent au-delà des apparences ou des suppositions – tout le monde peut être victime de violence fondée sur le genre, quelle que soit son origine ou la façon dont il se présente. 

 

Q : Pourquoi pensez-vous que les sages-femmes et autres prestataires de soins de santé sont particulièrement bien placés pour aider à identifier et à soutenir les victimes de violence fondée sur le genre?   

Les sages-femmes sont souvent le premier point de contact des femmes à des moments décisifs de leur vie, comme la grossesse et l’accouchement. C’est une occasion unique d’instaurer un climat de confiance et d’offrir un soutien. 

Grâce à leur capacité à observer les changements de comportement, de santé physique et de bien-être émotionnel, les sages-femmes occupent une place idéale pour identifier très tôt les signes de maltraitance. 

La philosophie de la pratique sage-femme – axée sur la confiance, le choix et l’absence de jugement – correspond parfaitement à l’approche nécessaire pour les victimes de la violence fondée sur le genre. En créant un espace sûr et empathique, les sages-femmes peuvent permettre aux femmes de parler de leurs expériences et de prendre des mesures pour se mettre en sécurité. 

Comme tout autre aspect des soins de pratique sage-femme, soutenir les victimes de violence fondée sur le genre exige de leur donner le plus d’informations possible. Lorsque les victimes comprennent les solutions qui s’offrent à elles et les ressources dont elles disposent, elles peuvent prendre des décisions en connaissance de cause concernant leur vie et leur bien-être. 

 

Q : Comment les prestataires de soins de santé peuvent-ils mieux se préparer à reconnaître et à soutenir efficacement les victimes de violence fondée sur le genre?   

La formation est essentielle. Les prestataires de soins de santé, notamment les sages-femmes, devraient recevoir une formation régulière sur les nombreuses formes de maltraitance – physique, émotionnelle, financière et sexuelle. Cette formation doit porter sur la manière de poser des questions délicates, de documenter les préoccupations et d’orienter les victimes vers les services appropriés.   

Les prestataires de soins de santé doivent également veiller à tenir des registres complets et cohérents. Les survivantes ne devraient pas avoir à raconter encore leur histoire à chaque rendez-vous; au contraire, les prestataires devraient pouvoir se référer à des informations documentées pour offrir des soins éclairés sans infliger un nouveau traumatisme à la femme concernée. Cette cohérence est également indispensable pour les victimes qui intentent une action en justice contre les auteurs de violences, puisqu’elle fournit des preuves documentées de leurs expériences.    

Des ressources accessibles, telles que des lignes d’assistance téléphonique et des brochures en plusieurs langues, devraient être disponibles dans les cliniques et les hôpitaux. Elles peuvent servir de ligne de vie discrète pour les survivants, en les aidant à comprendre leurs options et à obtenir de l’aide. 

Enfin, il est essentiel de reconnaître les limites auxquelles les sages-femmes sont confrontées. Les contraintes de temps et les ressources limitées les empêchent souvent de faire tout ce qui est en leur pouvoir. Les gouvernements et les systèmes de santé doivent permettre aux sages-femmes de remplir leur rôle en leur donnant le temps, les outils et le soutien nécessaires pour lutter efficacement contre la violence fondée sur le genre. 

Q : Pouvez-vous nous parler de la mission de votre organisation, qui consiste à soutenir les survivants, et quel message aimeriez-vous faire passer à d’autres personnes susceptibles de rencontrer des situations semblables 

Soul Sisters se consacre à l’autonomisation des victimes d’abus domestiques. Notre mission consiste à fournir des services d’éducation, de plaidoyer et de soutien émotionnel tout en sensibilisant la population aux réalités de la violence fondée sur le genre. Nous nous efforçons également d’influencer les politiques, en insistant sur le renforcement des protections et sur l’amélioration des systèmes de soutien aux survivants.   

À toute personne victime de violence fondée sur le genre : sachez que vous n’êtes pas sans défense. Le chemin vers la sécurité peut sembler impossible, mais vous pouvez trouver de l’aide. Cherchez du soutien auprès d’organisations, de prestataires de soins de santé ou d’une personne de confiance. Ce premier pas peut changer votre vie et protéger l’avenir de vos enfants.