Pass the Mic : Le point de vue d’une survivante sur la contribution des sages-femmes à la lutte contre les mutilations génitales féminines

Les mutilations génitales féminines (MGF) désignent toutes les procédures qui consistent à modifier ou à blesser les organes génitaux féminins pour des raisons non médicales. Elles sont reconnues au niveau international comme une violation des droits de la personne, de la santé et de l’intégrité corporelle des jeunes filles et des femmes. Plus de 200 millions de femmes en vie aujourd’hui ont subi cette pratique néfaste, avec de graves conséquences physiques, émotionnelles et sociales.
Les filles qui subissent des MGF sont confrontées à des complications à court terme, telles que des douleurs intenses, un choc, des saignements excessifs et des infections, ainsi qu’à des conséquences à long terme pour leur santé sexuelle et reproductive et leur santé mentale.
Les MGF se pratiquent surtout dans 30 pays d’Afrique et du Moyen-Orient, et dans certains pays d’Asie et d’Amérique latine, mais elles constituent un problème universel.
La Journée internationale de tolérance zéro pour les mutilations génitales féminines, célébrée chaque année le 6 février, amplifie les voix des survivantes, sensibilise l’opinion et incite à agir pour mettre fin à cette pratique. Elle nous rappelle que la lutte contre les MGF vise à garantir la dignité, l’égalité et l’autonomie de tous.
Pour souligner l’urgence de cette question, nous passons le micro à Catherine Chacha, sage-femme, infirmière et militante passionnée du Kenya. En tant que survivante des MGF, Catherine remet en question les normes culturelles néfastes et partage ses idées sur la manière dont les professionnels de la santé et les communautés peuvent parvenir à une tolérance zéro pour les MGF.
Q : Racontez-nous votre histoire et comment vous vous êtes engagée dans le plaidoyer contre les MGF.
Je m’appelle Catherine et je viens du comté de Migori, au Kenya. Je suis infirmière sage-femme et je termine mon master en épidémiologie de terrain. J’ai commencé à plaider contre les MGF en raison de mon expérience personnelle en tant que survivante.
J’ai subi des mutilations génitales à l’âge de 12 ans. À l’époque, mes parents vivaient dans une zone urbaine et étaient bien éduqués, mais la décision de me faire exciser a été influencée par ma grand-mère qui détenait un pouvoir important dans notre famille. Elle s’est arrangée pour que la procédure soit effectuée par un prestataire de soins de santé, pensant que cela la rendrait plus sûre. Mais les mutilations génitales féminines constituent une violence, peu importe le lieu ou la manière dont elles sont pratiquées. Cette expérience a été physiquement douloureuse et émotionnellement traumatisante, laissant des cicatrices que je porte encore aujourd’hui.
Au début de ma formation d’infirmière et de sage-femme, j’hésitais à partager mon histoire. Je craignais d’être dépréciée ou jugée par les autres, et la stigmatisation des MGF rendait plus difficile encore de se confier. Mais en avançant dans mes études, je me suis rendu compte que ce problème était bien trop répandu et qu’il suscitait tellement de honte qu’il avait besoin d’une voix. J’ai décidé d’élever la mienne pour que d’autres puissent se sentir habilités à faire de même.
Après cette prise de conscience, je me suis engagée à rompre le cycle. Mes jeunes sœurs n’ont pas subi de MGF parce que ma famille et moi-même nous y sommes fermement opposés. C’est cet engagement, ainsi que mon travail, qui a motivé mon engagement pour mettre fin aux MGF. J’utilise ma voix pour éduquer, soutenir les survivants et remettre en question les normes culturelles préjudiciables qui soutiennent cette pratique.
Q : Quelles sont les principales idées fausses sur les MGF et comment ces pratiques affectent-elles les femmes et les jeunes filles dans le monde ?
Une des idées reçues les plus répandues est que les MGF sont un rite culturel de passage qui définit la féminité. Toutefois, la culture ne doit pas se faire au détriment de la dignité et des droits de la personne. Les MGF provoquent des douleurs intenses, des complications à vie et des traumatismes psychologiques.
Un autre mythe veut que les MGF soient nécessaires pour pouvoir se marier. Dans de nombreuses communautés, on pense qu’il améliore les perspectives d’une fille en prouvant sa pureté ou en réduisant sa libido. Mais ce n’est tout simplement pas vrai.
Enfin, certaines personnes pensent que les MGF sont moins dangereuses lorsqu’elles sont pratiquées par un professionnel de la santé. Ce n’est pas le cas. La médicalisation ne rend pas les MGF sûres ; elles constituent toujours une violation des droits de la personne et causent d’immenses préjudices physiques et émotionnels.
Q : Pourquoi considérez-vous que les MGF ne sont pas seulement une question de santé, mais aussi une question d’égalité des genres ?
Les MGF portent atteinte à la dignité et à l’estime de soi des femmes. L’excision est souvent pratiquée en public, ce qui prive les femmes de leur intimité et de leur autonomie. Elles sont souvent pratiquées très tôt dans la vie d’une femme, envoyant ainsi le message qu’il est acceptable que d’autres personnes prennent des décisions sur le corps des femmes.
Au-delà des effets négatifs sur la santé physique, les MGF perpétuent également des cycles plus larges d’inégalité des genres. Ils exposent les filles aux mariages d’enfants, aux grossesses précoces et à l’exclusion économique. Ces inégalités limitent leur capacité à atteindre leurs objectifs et à contribuer de manière significative à la société. Mettre fin aux mutilations génitales féminines, c’est prendre position en faveur de l’égalité des genres et des droits humains de toutes les femmes et de toutes les filles.
Q : Quel rôle les sages-femmes et autres professionnels de la santé peuvent-ils jouer pour mettre fin aux MGF ?
Les sages-femmes et les infirmières jouent un rôle essentiel dans cette lutte, car elles incarnent des personnes de confiance au sein de leur communauté. Elles sont particulièrement bien placées pour aborder cette question avec les familles dès la période de préconception, en leur fournissant les outils et les ressources nécessaires pour prendre des décisions éclairées.
La communication centrée sur la personne est un élément clé de cette approche qui consiste à s’engager avec les individus sur la base de leurs contextes culturels et sociaux spécifiques. Les sages-femmes devraient écouter les raisons invoquées par les familles pour justifier la poursuite des MGF et remettre doucement en question ces croyances en faisant preuve d’empathie et en s’appuyant sur des données probantes, et non imposer des messages généraux.
Les sages-femmes ont également la responsabilité de plaider en faveur d’une tolérance zéro au sein de leur propre profession. Malheureusement, certains professionnels de la santé continuent de perpétuer et de légitimer les MGF à travers la médicalisation. Nous devons veiller à ce que les sages-femmes et tous les professionnels de la santé comprennent que les MGF ne présentent aucun avantage médical et que leur pratique constitue une violation de l’éthique professionnelle et des droits de l’homme.
Q : Quel message souhaiteriez-vous transmettre aux gouvernements, aux organisations et aux particuliers qui luttent pour l’éradication des mutilations génitales féminines ?
Nous devons aller au-delà de la norme et prendre des mesures audacieuses et novatrices. Tout d’abord, investir dans les infirmières et les sages-femmes comme intervenants clés dans cette conversation. Leur voix et leur expertise sont inestimables pour atteindre les communautés.
Deuxièmement, impliquer les survivantes dans les efforts de plaidoyer. Nous savons où cela fait le plus mal et pouvons apporter des perspectives uniques à la lutte contre les MGF. Les réseaux de survivantes devraient être soutenus pour diffuser leurs histoires et encadrer les jeunes filles afin qu’elles résistent à cette pratique.
Enfin, privilégier les approches centrées sur la communauté. Écouter les gens, comprendre leur contexte culturel et répondre à leurs préoccupations avec compassion et respect. Les politiques et les lois sont importantes, mais elles doivent être accompagnées de mesures concrètes au niveau local. Ensemble, nous pouvons éviter qu’une jeune fille ne vienne gonfler les statistiques.