Les premiers intervenants face à la crise climatique 

Neha Mankani est responsable du projet d’évaluation et de renforcement des capacités des associations de sages-femmes à l’ICM et diplômée du Programme des jeunes leaders en pratique sage-femme. Par l’intermédiaire de son organisation caritative Mama Baby Fund, Neha et son équipe ont fourni des kits de naissance et des soins de sage-femme à plus de 15 000 familles touchées par les inondations au Pakistan. Cette année, Neha a été nommée l’une des 100 femmes de la BBC dans la catégorie « Pionnière du climat ». 

Ce mois-ci, Neha nous présente un blog décrivant son travail en tant que premier intervenant dans la crise climatique.   

Rukaiya, qui a accouché dans notre clinique dirigée par une sage-femme à Baba Island, partage avec moi un bol de curry de crabe dans l’arrière-cour de sa maison. Surplombant la mer d’Arabie et les mangroves affaiblies, le jardin se transforme au gré des marées. À marée haute, l’eau menace d’envahir sa maison, tandis qu’à marée basse, je ne vois que de la boue et des sacs en plastique.  

Je suis ici pour une visite postnatale de Sara, la belle-sœur de Rukaiya, qui a donné naissance à son premier enfant hier. La chaleur étouffante et l’électricité limitée, disponible seulement pendant la moitié de la journée, rendent notre conversation sur la façon de se rafraîchir et de rafraîchir le bébé encore plus cruciale. Nous insistons sur l’importance de l’hydratation pendant cette période.  

En tant que sage-femme sur une île de pêche côtière affectée par le climat au large de Karachi, au Pakistan, mon rôle va bien au-delà de la prestation de soins aux femmes enceintes et aux bébés. Les îles de Baba, Bhit, Shamspir et Salehabad, qui étaient autrefois un havre de paix pour les pêcheurs, sont aujourd’hui confrontées aux dures réalités du changement climatique qui ont un impact non seulement sur l’environnement, mais aussi sur la santé et le bien-être des habitants de l’île. Dans cette communauté, notre équipe de deux sages-femmes, Jahan et moi-même, joue un rôle crucial dans le soutien sanitaire face aux défis posés par le réchauffement de la planète. Qu’il s’agisse de coordonner les plans d’urgence en cas de tempête maritime ou de traiter les effets du stress climatique sur la santé mentale, nous sommes des sages-femmes et des premiers intervenants.  

Les communautés de pêcheurs côtiers sont confrontées à l’élévation du niveau de la mer, à des conditions météorologiques imprévisibles et à la menace d’événements extrêmes tels que les cyclones. Alors que ces communautés s’adaptent à l’évolution des conditions environnementales, nous nous trouvons à l’intersection des soins de santé et de la résilience climatique. La montée des températures, combinée à la dégradation de l’environnement, rend cette communauté plus vulnérable aux maladies à transmission vectorielle, aux maladies de peau, aux problèmes respiratoires, à une série de maladies infectieuses et à l’impact direct et indirect de la chaleur sur la santé de la mère et du nouveau-né.   

Nous avons vu notre minuscule clinique d’une seule pièce, gérée par une sage-femme, devenir un espace sûr pour les femmes de toute la communauté des pêcheurs, desservant une population de plus de 25 000 personnes. Au milieu du chaos, il règne un profond sentiment d’appartenance à la communauté. Les habitants de l’île, liés par leurs expériences et leurs luttes communes, se rassemblent pour se soutenir les uns les autres. En tant que sages-femmes qui les accompagnent dans les moments les plus joyeux et les plus difficiles de leur vie, nous sommes nous aussi devenues des membres de confiance de cette communauté très unie. Faire partie de cette sororité et du désordre de la vie humaine est la partie de mon travail que je préfère.   

La communauté coexiste harmonieusement avec la nature et la mer depuis des générations, et nous avons appris comment cela façonne les pratiques culturelles autour de la naissance et de la période postnatale pour les familles. Les changements environnementaux dans les écosystèmes côtiers ont eu un impact direct sur les moyens de subsistance de cette communauté de pêcheurs, ce qui a eu des répercussions importantes sur la santé et la nutrition de la mère et de l’enfant et, par conséquent, sur l’issue de la grossesse. Nous aidons les femmes de la communauté à s’informer mutuellement sur les régimes alimentaires durables et d’origine locale, et sur l’importance de l’allaitement maternel et des sources de nutrition résilientes au climat pour les familles. Nous partageons la façon dont nous pouvons tous être collectivement responsables de l’environnement.   

L’un des aspects les plus importants de mon travail est l’adaptation à l’évolution des besoins des familles en attente d’un enfant. La prestation de soins dans cette communauté nous a permis d’apprendre l’adaptabilité et l’innovation. Notre bateau-ambulance, équipé pour résister aux conditions météorologiques défavorables, permet aux sages-femmes d’atteindre des zones reculées par mauvais temps et offre à l’ensemble de la communauté un transport maritime gratuit en cas d’urgence et pour les références médicales. Par ailleurs, nous consultons à distance pour d’autres spécialités de soins de santé, ce qui minimise les déplacements inutiles et réduit l’empreinte carbone associée à l’accès aux services de soins de santé en ville. Notre clinique alimentée par l’énergie solaire est respectueuse du climat et nous permet de prodiguer des soins en toute sécurité même en l’absence d’électricité dans la communauté.    

En réfléchissant à mon rôle dans cette communauté, je pense au besoin urgent d’approches holistiques et durables des soins de santé maternelle dans le monde. Le modèle de soins dirigé par des sages-femmes est une méthode efficace pour fournir des soins de qualité, culturellement appropriés, tout en réduisant l’empreinte carbone de la santé maternelle et reproductive. En adoptant des initiatives respectueuses de l’environnement, en mettant en œuvre des pratiques fondées sur des données probantes et en favorisant la sensibilisation de la communauté, les sages-femmes peuvent devenir de puissants agents de changement face aux défis climatiques, en garantissant les principes de la durabilité écologique.  

En quittant l’île ce soir-là, je suis passée devant la maison de Rukaiya. La marée montait vers le rivage et Sara berçait son nouveau-né tout en surveillant le fils de Rukaiya qui jouait dans l’eau de mer à l’extérieur de leur chambre. J’ai réfléchi à la beauté profonde qui réside dans cette communauté côtière résiliente et à la gratitude que j’éprouve à faire partie de leur histoire.