Action humanitaire et changement climatique, Asie du Sud-Est

Behind the Camera: Le regard de Fabeha Monir sur les sages-femmes qui travaillent dans des situations humanitaires 

ICM
7 mars 2025

« Behind the Camera » est une série en cours qui met à l’honneur les photographes talentueux à l’origine de la photothèque de l’ICM sur la pratique sage-femme. Avec plus de 1600 images montrant des sages-femmes en action dans le monde entier, cette collection met en évidence leurs divers rôles dans l’amélioration des résultats sanitaires et la transformation des communautés. Cette collection donne vie au dévouement et à la résilience des sages-femmes du monde entier, qu’elles travaillent dans des communautés indigènes isolées en Australie, qu’elles viennent en aide aux réfugiés de Cox’s Bazar, au Bangladesh, ou qu’elles soient étudiantes sages-femmes débutant leur parcours au Pakistan. 

Cette série met en lumière les esprits créatifs qui se cachent derrière ces images en explorant leurs perspectives et les histoires capturées à travers l’objectif. Dans ce dossier, nous nous intéressons à Fabeha Monir, une photographe remarquable dont le travail nous rapproche de la vie des sages-femmes au Bangladesh, notamment son récent travail sur les sages-femmes au service de la communauté rohingya à Cox’s Bazar. Grâce à son talent pour la narration visuelle et à son profond respect pour les personnes et les communautés qu’elle photographie, Fabeha apporte une contribution précieuse à la photothèque et à la vidéothèque de l’ICM. 

 

Pourquoi avez-vous commencé la photographie? Quels sont les thèmes ou les sujets qui vous passionnent le plus dans votre travail? 

J’utilise la photographie, l’écriture et la vidéographie pour me concentrer sur les récits humanitaires, en explorant des thèmes tels que le développement social, la migration, la violence fondée sur le genre et les luttes des communautés déplacées. Mon travail est motivé par un engagement fort à capturer les réalités profondes des vies que je documente. La photographie me donne un accès extraordinaire à la vie des gens, et leur ouverture me donne un énorme sentiment de responsabilité – non seulement pour dépeindre la vérité, mais aussi pour honorer leurs histoires avec respect et authenticité. 

En tant que conteuse, le défi consiste à créer un travail qui soit à la fois percutant et compatissant, qui incite le spectateur à en savoir plus et à s’engager sur les questions abordées. Je cherche à transformer les images en émotions, en évoquant les expériences universelles de joie, de chagrin, de souffrance et de résilience qui nous relient entre nous. L’humanité est profondément interconnectée; lorsque l’un d’entre nous souffre, les autres en sont affectés d’une manière dont nous ne nous rendons peut-être pas compte immédiatement. Ce cycle de souffrance ne cessera que si nous agissons pour y remédier, et j’espère que mon travail sera une source d’inspiration pour ce changement. 

 

Avant de participer à ce projet, quelle était votre conception de la pratique sage-femme et quel a été le déclic qui vous a poussé à documenter le travail des sages-femmes par la photographie? 

En 2018, j’ai travaillé pour la première fois en étroite collaboration avec des sages-femmes. À l’époque, plus de 5000 mères mouraient en couches chaque année au Bangladesh. Les sages-femmes jouent un rôle essentiel en sauvant des vies, mais elles sont souvent confrontées aux préjugés des médecins et des familles et sont ainsi devenues des pionnières de l’émancipation. Au cours de cette période, j’ai documenté leur travail pour la revue allemande Stern Magazine, dans le cadre d’un projet intitulé «Le rôle des sages-femmes dans la défense des enfants et des femmes». Cette expérience m’a permis de comprendre la complexité du métier de sage-femme au Bangladesh, où la profession était encore relativement nouvelle dans un pays densément peuplé. 

Près de la moitié des femmes du Bangladesh accouchent à domicile, souvent avec des aides non qualifiées, de plus nombre d’entre elles vivent dans des zones reculées, coupées des services de santé par des routes impraticables. Les barrières culturelles et financières s’ajoutent aux difficultés : les maris interdisent parfois aux femmes de se faire soigner et les césariennes parfois inutiles peuvent coûter jusqu’à dix fois plus cher dans les hôpitaux privés que les accouchements naturels. Dans certains établissements, les maternités disposent de salles d’opération mais pas de salles d’accouchement. Encore aujourd’hui, le rôle des sages-femmes est encore mal compris. 

Peu après ce premier projet, j’ai documenté les sages-femmes lors de l’exode des réfugiés rohingyas au Bangladesh, en me concentrant sur les services vitaux assurés par le Hope Midwifery Institute et le Hope Field Hospital à Cox’s Bazar. Les étudiants et les professionnels de la pratique sage-femme dispensaient des soins essentiels aux femmes et aux nouveau-nés dans les camps, à une époque où les besoins étaient immenses. Ensuite, j’ai continué à documenter les services de sage-femme, en suivant les profils de nombreuses sages-femmes pour des projets éducatifs, à but non lucratif et éditoriaux, dans l’espoir de rendre leur rôle plus visible et de mieux faire comprendre au public le travail qu’elles accomplissent. 

 

Pouvez-vous décrire le contexte dans lequel vos photos ont été prises et ce qui vous a le plus frappé dans le travail des sages-femmes dans ces contextes? 

Vue aérienne du camp Rohingya de Cox’s Bazar, Cox’s Bazar, Bangladesh.

Les photos ont été prises à Cox’s Bazar, plus précisément dans les camps de réfugiés rohingyas et à l’hôpital Hope Field qui fournit des services de santé essentiels à la communauté déplacée. Les sages-femmes que j’ai rencontrées sont engagées dans leur travail malgré les immenses défis auxquels elles sont confrontées. Nombre d’entre elles opèrent dans des communautés mal desservies où les femmes enceintes dépendent souvent des services de santé gratuits fournis par les hôpitaux et les maisons de naissance. 

L’un des aspects les plus remarquables de la collaboration avec les sages-femmes est leur calme et leur patience. Leur niveau d’engagement et leur travail acharné les rendent extraordinaires, et c’est pourquoi les femmes leur font confiance, car elles reçoivent d’excellents soins de la part des sages-femmes. La façon dont les sages-femmes s’occupent des jeunes mères enceintes, en particulier dans les camps humanitaires, est vraiment impressionnante. 

 

Avez-vous vécu un moment ou une interaction spécifique pendant votre séjour à Cox’s Bazar qui vous a laissé une impression durable? 

J’ai commencé à travailler avec la communauté rohingya en 2017, et ce fut un voyage intense. La nature conservatrice de la communauté, combinée à un accès limité aux soins de santé et aux équipements de base, en particulier pour les femmes et les mères enceintes, a été frappante. J’ai pu constater de visu les difficultés qu’elles rencontraient, souvent en accouchant à la maison sans aucune aide. 

Ce qui m’a laissé une impression durable, c’est l’observation de la manière dont les sages-femmes ont réussi à instaurer la confiance et à établir des relations solides au sein de la communauté. Elles ont souligné l’importance de l’accès aux services de santé dans les établissements où elles fournissent un soutien essentiel aux femmes enceintes. Voir les sages-femmes s’engager dans des discussions ouvertes sur la santé et les droits reproductifs, travailler sur l’hygiène maternelle et favoriser un environnement dans lequel les femmes se sentent à l’aise pour partager leurs préoccupations a été une expérience remarquable. 

La transformation dont j’ai été témoin a été révolutionnaire. Les femmes qui étaient autrefois confrontées à des obstacles importants abordent désormais en toute confiance leurs problèmes de santé reproductive et demandent conseil à des sages-femmes. Le soutien qu’elles recevaient avant et après l’accouchement a marqué un changement important dans leur vie. 

C’était extraordinaire de documenter et de découvrir cette nouvelle confiance dans les sages-femmes. Certes, il reste encore beaucoup à faire, mais les progrès accomplis me donnent de l’espoir et m’inspirent. La façon dont ces relations ont permis aux femmes de s’émanciper au sein de la communauté est vraiment frappante. 

 

Quels sont les défis auxquels vous avez été confrontés au moment de capturer ces images dans un contexte humanitaire, et comment les avez-vous relevés? 

Travailler dans un contexte humanitaire, en particulier avec des communautés déplacées comme les Rohingyas, comporte des défis importants. L’instauration de la confiance est un processus lent qui nécessite une compréhension culturelle, une certaine sensibilité et le respect des croyances religieuses. Dans la communauté conservatrice des Rohingyas, de nombreuses femmes préfèrent ne pas montrer leur visage, il était donc essentiel de respecter leur vie privée tout en recueillant leurs témoignages. 

L’obtention des autorisations a constitué un autre obstacle, car dans ce contexte, le consentement implique souvent non seulement les femmes, mais aussi leurs maris et leurs aînés. En respectant ces dynamiques culturelles, j’ai pu photographier des femmes bénéficiant de services de sage-femme à l’hôpital de Hope Field et dans les camps. 

Les sages-femmes avaient déjà établi une relation de confiance inestimable avec la communauté, ce qui a créé un environnement de collaboration qui m’a permis d’aborder mon travail avec respect et empathie. Même si le parcours pour établir la confiance se poursuit, j’ai pu documenter de manière significative les services vitaux de sage-femme fournis dans ce contexte complexe. 

 

Comment pensez-vous que vos photographies peuvent influencer la perception de la pratique sage-femme et de la santé sexuelle et reproductive dans les contextes humanitaires? Quels message ou émotion souhaitez-vous transmettre aux spectateurs de vos photos de sages-femmes? 

Je pense que les images que nous partageons sur cette plateforme mettront en évidence le dévouement et le travail acharné des sages-femmes. Malgré les difficultés, comme le manque de ressources et d’installations, les sages-femmes apportent un soutien complet et tirent parti de leur formation et de leur expertise pour aider les personnes qui en ont besoin. Leurs services sont essentiels et concernent les droits fondamentaux des femmes. Ceci est particulièrement important dans les camps de Rohingya et dans d’autres régions du Bangladesh, où l’accès à des soins de santé de qualité est limité. Je suis convaincue que ces images mettront en évidence l’engagement inébranlable des sages-femmes, pour finalement conduire à de meilleures formations et à un soutien accru de leurs établissements. 

 

Maintenant que cette série est terminée, comment a évolué votre point de vue sur la profession de sage-femme et son rôle dans les situations humanitaires? 

Il est essentiel que les organisations et les institutions fournissent une formation et des ressources adéquates pour permettre aux sages-femmes de recevoir la meilleure formation possible. Les instituts de sages-femmes du Bangladesh ont besoin de soutien supplémentaire, car les sages-femmes fournissent des services vitaux et celles qui dispensent des soins au sein de la communauté ne sont pas assez nombreuses. Dans les situations humanitaires, les sages-femmes fournissent en effet des services essentiels. Sans leur intervention, de nombreuses femmes dans les camps pourraient ne bénéficier d’aucun soutien. Dans une situation de crise où la nourriture est rare, les communautés déplacées ne peuvent espérer qu’un meilleur traitement soit disponible gratuitement ou à faible coût. J’ai vu des sages-femmes sauver la vie de mères et d’enfants dans les circonstances les plus difficiles et chaque mère et chaque enfant mérite ce service en tant que droit humain fondamental. 

 

 

Avez-vous une photo préférée dans cette série? Si oui, pourquoi se démarque-t-elle? 

L’ensemble de la série a une grande valeur à mes yeux, mais c’est le processus derrière chaque photographie qui les rend vraiment remarquables. Le courage et la transformation saisis dans ces moments confèrent à ces images un impact durable. 

Deux photos revêtent une importance particulière. Sur l’une, la sage-femme Kanata tient dans ses bras un nouveau-né qu’elle a aidé à mettre au monde à l’hôpital Hope, à Cox’s Bazar. Depuis l’exode des Rohingyas, Kanata se consacre à la communauté des réfugiés. Il a fallu des années pour que la communauté reconnaisse l’importance des soins dispensés par les sages-femmes, mais l’expertise de Kanata a permis de gagner cette confiance. Aujourd’hui, elle s’exprime avec assurance, même lorsqu’elle remet en cause les traditions ou aborde des sujets sensibles comme la santé reproductive. Sa compassion et sa détermination rendent son travail extraordinaire. 

La deuxième photo montre une femme rohingya arrivant à l’hôpital Hope Field. Il fut un temps où les femmes de la communauté n’étaient pas autorisées à se faire soigner, mais elles comprennent aujourd’hui que les sages-femmes fournissent des soins prénatals et postnatals respectueux et essentiels. Ce changement de mentalité a permis aux femmes d’accéder aux services dont elles ont besoin, ce qui entraîne une transformation significative au sein de la communauté.