L’histoire de la pratique sage-femme: Le rôle du plaidoyer dans la pratique sage-femme
Le plaidoyer est inhérent à la pratique sage-femme. Depuis les premiers jours de la profession, les sages-femmes ont été témoins et ont vécu les défis auxquels sont confrontées les femmes lors de l’accouchement et ont communiqué ces défis aux dirigeants de la communauté. L’histoire de la pratique sage-femme est donc indissociable des mouvements pour les droits des femmes et l’autonomie corporelle. Au moment de célébrer le centenaire de l’ICM, il est important de réfléchir au rôle du plaidoyer dans le façonnage de notre profession et l’avancement des droits de l’homme.
Pour ce faire, nous avons rencontré Angela Nguku, sage-femme diplômée, fondatrice de la White Ribbon Alliance Kenya, directrice générale adjointe de la White Ribbon Alliance et leader d’opinion et défenseure passionnée de la santé des mères, des nouveau-nés et des adolescents. Sa carrière s’étend sur plus de 17 ans de travail dévoué pour mettre fin aux décès maternels et néonataux évitables dans le monde. En nous faisant découvrir sa carrière, Angela souligne les changements qu’elle a observés dans la manière dont les sages-femmes pratiquent et acquièrent des compétences en matière de plaidoyer et comment ces compétences deviennent essentielles pour les jeunes sages-femmes en devenir.
Pour Angela, le rôle du plaidoyer dans la pratique sage-femme est personnel.
« Au début de ma carrière de sage-femme, j’étais vraiment enthousiaste à l’idée de travailler avec des mères et de mettre au monde des bébés, explique Angela. Je pensais que les systèmes allaient m’aider à bien faire mon travail. »
En 2006, après un stage de sage-femme, Angela a décidé de quitter le Kenya pour le Soudan du Sud afin d’acquérir une expérience professionnelle internationale. Le Soudan du Sud venait juste de sortir d’une guerre civile violente qui avait prélevé un terrible tribut sous la forme de décès maternels et néonataux évitables.
« J’avais les mains liées. Tout d’abord, le système était totalement dysfonctionnel, mais les mères continuaient à accoucher et elles avaient besoin de sages-femmes pour les soutenir, explique Angela. Il n’y avait même pas de fournitures de base comme des gants ou du sang… En fait, il n’y avait pas de sages-femmes formées, seulement des accoucheurs traditionnels. »
Angela avait les aptitudes et les compétences nécessaires pour apporter un soutien aux femmes qui sollicitaient ses soins, mais il lui manquait le soutien du système pour être en mesure de les fournir de manière adéquate. En d’autres termes, ce que nous appelons aujourd’hui l’environnement favorable aux sages-femmes, c’est-à-dire un environnement qui soutient l’infrastructure, la profession et l’intégration au niveau du système nécessaires pour que les sages-femmes puissent exercer efficacement l’ensemble de leurs fonctions, n’existait pas. Par conséquent, les femmes et les nouveau-nés mouraient de causes évitables.
Même si la solution aux problèmes auxquels Angela était confrontée au Soudan du Sud n’était ni claire ni facile, elle a réalisé qu’elle pouvait progresser dans le domaine de la formation des sages-femmes. Avec le soutien de son organisation d’alors et le financement de l’UNFPA, Angela a été le fer de lance de l’élaboration du premier programme d’enseignement de la pratique sage-femme dans le pays. Puis, elle a créé la toute première école communautaire de sages-femmes à Maridi, au Soudan du Sud. Malgré cet accomplissement, elle a reconnu qu’un changement réel et systémique ne serait possible que si davantage de sages-femmes disposaient des outils et des compétences nécessaires pour défendre leurs besoins et ceux des femmes dont elles s’occupent.
« Les ensembles d’aptitudes et de compétences des sages-femmes étaient tellement déconnectés du système de santé fonctionnel. [Les décideurs et les membres de la communauté] ne comprenaient pas que sans un système de santé fonctionnel, les sages-femmes ne pouvaient tout simplement pas exercer, explique Angela. À un moment donné, j’ai dit ‘non’, nous ne pouvons pas continuer comme ça. Les sages-femmes doivent faire connaître leurs problèmes et ce qu’elles endurent, mais mieux encore, le monde doit savoir que des mères et des nouveau-nés meurent et que ces décès sont évitables. »
Cette prise de conscience a catalysé la carrière d’Angela dans le domaine du plaidoyer et son travail de formation et de soutien aux sages-femmes pour qu’elles racontent leur histoire afin de provoquer un changement systémique. Angela reconnait avoir constaté une augmentation du nombre de sages-femmes impliquées dans le travail de plaidoyer au Kenya et ailleurs, mais elle constate qu’il existe des obstacles à la participation des sages-femmes à la réforme des politiques.
« Un grand nombre de sages-femmes veulent s’exprimer, mais les systèmes patriarcaux ne le permettent pas – il y a des hiérarchies en place et les sages-femmes sont réprimandées si elles essaient de changer le statu quo », explique Angela.
À l’avenir, Angela espère que les compétences en matière de plaidoyer seront intégrées dans les programmes d’études des sages-femmes, afin de leur permettre de comprendre leur potentiel en tant qu’actrices du changement et défenseurs des droits des femmes.
« Le plaidoyer est une réflexion après coup dans de nombreux domaines, déclare Angela. En tant que sages-femmes, on nous répète constamment que nous sommes les défenseurs des patients, mais si on ne nous donne pas les compétences pour pouvoir le faire, c’est impossible… de la même manière que nous mettons en relation les formateurs de sages-femmes, nous devons créer des espaces pour mettre en relation les défenseurs des sages-femmes afin qu’ils puissent partager des idées et collaborer vers des objectifs communs. »
Pour soutenir le développement des compétences en matière de plaidoyer, Angela a inventé ce qu’elle appelle « les quatre P du plaidoyer des sages-femmes » :
« Premièrement, il faut avoir la Passion de chercher le changement et il ne faut pas s’arrêter. Deuxièmement, vous devez Persister, car le parcours peut être décourageant… [Troisièmement], il faut Persévérer ». Le quatrième « P » est « Paye » qui, selon Angela, représente la nécessité d’avoir une compréhension clairement définie de ce à quoi ressemble le succès.
Angela elle-même a connu beaucoup de succès dans sa carrière, ayant joué un rôle essentiel dans l’élaboration et l’illustration du plaidoyer pour la pratique sage-femme. Elle a participé à l’adaptation du programme de plaidoyer SMART pour les sages-femmes, à l’élaboration de l’enquête Midwives’ Voices, Midwives Demands (Voix de sages-femmes, revendications de sages-femmes). Tout au long de sa carrière, elle a représenté les sages-femmes dans des forums mondiaux, régionaux et locaux, contribuant à la manière dont les dirigeants, les décideurs et les membres de la communauté comprennent les sages-femmes et la pratique sage-femme.
Alors, que retenir d’Angela au sujet du plaidoyer pour la pratique sage-femme et du lien historique et inextricable entre les sages-femmes et les mouvements sociaux ? Tant que des femmes et des nouveau-nés mourront d’une mort évitable, et tant que les femmes se battront pour leurs droits de contrôler leur propre corps et de dicter leur avenir, les sages-femmes comme Angela continueront à défendre leurs revendications.
Que les 100 prochaines années de plaidoyer pour la pratique sage-femme soient couronnées de succès.
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