Compétences essentielles, Environnement favorable, Modèle de soins, Philosophie et modèle de pratique

Entretien avec Karen Guilliland sur le développement de la profession de sage-femme en Asie-Pacifique

ICM
6 juillet 2022

« Je suis de suite tombée amoureuse de la pratique sage-femme, dès mes débuts. Je ne l’ai jamais perçu comme un travail », Karen Guilliland.

L’aimable Karen Guilliland, ancienne directrice générale du New Zealand College of Midwives et ancien membre du conseil régional de l’ICM, parle de son rôle dans la mise en place de la pratique sage-femme dans la région Asie-Pacifique. Elle revient sur sa carrière et déclare : « Si l’on veut répondre aux besoins des femmes et des sages-femmes, il faut militer ». Pour célébrer le 100e anniversaire de l’ICM et nos efforts pour documenter l’histoire de l’ICM et de la pratique sage-femme, Faridah Luyiga, responsable du plaidoyer de l’ICM, a parlé à Karen de sa carrière.

Parlez-nous de vous et de votre parcours dans la pratique sage-femme ?

Je m’appelle Karen Guilliland. Je suis sage-femme depuis 1978. J’ai commencé comme infirmière, mais je n’ai jamais été vraiment fascinée par les soins infirmiers. Après avoir arrêté pour avoir mes bébés, j’ai perdu la confiance pour retourner aux soins infirmiers. J’avais une amie sage-femme qui vivait aux Fidji et elle m’a suggéré d’entrer dans la pratique sage-femme. J’ai pensé, eh bien, j’ai eu trois bébés, je crois que je connais le sujet. J’étais donc convaincue que je pouvais devenir sage-femme. Dès l’instant où j’ai rejoint la pratique sage-femme, j’en suis tombée amoureuse. Je ne l’ai jamais vécu comme un travail.

J’ai commencé la pratique sage-femme dans un grand centre hospitalier de formation pendant six ans. J’ai ensuite enseigné la pratique sage-femme, la santé des femmes et la santé sexuelle. Pendant toute cette période, j’ai eu un petit nombre de dossiers de femmes qui assistaient à des accouchements à domicile et dans des maisons de naissance et qui suivaient des cours de planification familiale et d’éducation parentale. En 1989, avec un groupe de femmes et de sages-femmes, nous avons créé le New Zealand College of Midwives dont je suis devenue la première directrice nationale. Ils avaient les idées et je devais les faire marcher. [Rires]

Depuis 1971, les sages-femmes de Nouvelle-Zélande étaient d’abord infirmières, puis sages-femmes. Mais dans de nombreux pays de la région Asie-Pacifique, comme l’Indonésie, les Philippines, Hong-Kong, elles entraient depuis toujours directement dans la pratique sage-femme. C’était une découverte pour nous et cela a renforcé notre détermination à revenir à une profession autonome distincte des soins infirmiers. Je pense donc que nous nous sommes tous influencés mutuellement sur notre façon de concevoir la pratique sage-femme.

Quels sont les moments dont vous êtes la plus fière en tant que sage-femme ?

Obtenir l’autonomie pour les sages-femmes en 1990 a été un moment vraiment spécial. Puis, en 1993, nous avons obtenu l’équité salariale avec les médecins généralistes (MG). Ces deux étapes ont changé la vie non seulement des sages-femmes mais aussi des femmes. En effet, une femme

peut avoir sa propre sage-femme et bénéficier de la continuité des soins. Permettre aux sages-femmes une pratique autonome dans leur communauté et permettre aux femmes de choisir elles-mêmes leurs sages-femmes a fait une énorme différence dans leurs résultats. Les mères et les sages-femmes ont adoré ! Aujourd’hui, 94 % des femmes néo-zélandaises choisissent encore elles-mêmes leur sage-femme et la gardent tout au long de leur grossesse et jusqu’à six semaines après l’accouchement. Cependant, la parité salariale avec les médecins généralistes s’est sérieusement dégradée, car ces derniers ont cessé de fournir des soins de maternité. Nous n’avons pas réussi à maintenir l’équité salariale — personne ne veut accorder une équité salariale aux sages-femmes parce que la majorité sont des femmes. Mais nous y travaillons.

Qu’est-ce qui vous motive ?

Je suis sans doute avant tout une sage-femme politique. J’ai adoré être sage-femme, mais en réalité, l’appel à la défense des droits, l’appel à parler pour ceux qui ne le pouvaient pas, est devenu ma force motrice. Ayant été une mère adolescente (j’étais très jeune lorsque j’ai eu mon premier enfant et je pense que cela vous apprend beaucoup sur la façon dont les gens traitent les femmes vulnérables), j’étais déterminée à ce qu’aucune de mes filles ne soit traitée comme je l’ai été à l’âge de 16 ans.

J’ai vu la pratique sage-femme comme un mécanisme permettant d’autonomiser les femmes afin qu’elles puissent devenir de bonnes mères. C’est vraiment cela qui m’a motivée. J’étais très triste quand j’ai arrêté de pratiquer. Cependant, j’étais convaincue que la formation et les activités politiques étaient vraiment nécessaires, car si personne ne dirige le mouvement, il reste en suspens et ne va e part. Y avait-il beaucoup de mères adolescentes à l’époque ?

Les grossesses chez les adolescentes en Nouvelle-Zélande étaient très nombreuses à l’époque. Enfin, c’était en 1966-67, il y a longtemps. Les taux d’adoption étaient également élevés, car il n’y avait pas de services d’avortement. Les grossesses chez les adolescentes ont considérablement diminué au fil des ans, et j’aime à penser que c’est en partie dû à la diffusion de la connaissance sur la contraception par les sages-femmes. En fait, nous encourageons les femmes à avoir plus d’enfants lorsqu’elles sont plus âgées.

Quand avez-vous appris l’existence de l’ICM ?

La première conférence de l’ICM à laquelle j’ai assisté était à Kobe, au Japon, en 1990. Nous voulions y aller et voir de quoi il s’agissait. C’était incroyable et ça a complètement changé ma façon de voir les choses. Ce qui m’a vraiment étonnée, c’est la hiérarchie de l’ICM. Elle n’était pas particulièrement centrée sur les femmes. En Nouvelle-Zélande, nous avons travaillé avec des groupes de consommateurs et des femmes nous ont aidés à faire évoluer la législation.

La Nouvelle-Zélande a soutenu le partenariat entre la pratique sage-femme et les femmes. Nous avons réussi en 1993 à faire définir la pratique sage-femme comme un partenariat avec les femmes à l’ICM, grâce au soutien des femmes et des sages-femmes de la région Asie-Pacifique.

L’Amérique et l’Europe sont apparues et se sont demandé « de quoi est-il question ? » Ils étaient ouverts à l’idée, même si personne ne leur en avait parlé auparavant. J’ai adoré la façon dont les associations membres de l’ICM ont rendu cela possible et j’ai vu un énorme potentiel de changement en utilisant la plateforme de l’ICM pour modifier la pratique et la législation dans mon pays et dans de nombreux autres pays.

Pourquoi pensez-vous que le partenariat entre les femmes et les sages-femmes est essentiel ?

Ce partenariat a trouvé un écho dans de nombreuses cultures. On nous mettait toujours dans le même sac que les infirmières, car il y avait des millions d’infirmières par rapport aux sages-femmes. La philosophie des infirmières revenait sans cesse sur le devant de la scène. Pour nous différencier, nous devions mettre en avant un point de différence avec les soins infirmiers. La différence entre les soins infirmiers et la pratique sage-femme réside dans le partenariat avec les femmes et la continuité des soins. La pratique sage-femme peut couvrir l’ensemble du parcours d’une femme, d’avant la grossesse au travail, jusqu’à six semaines après l’accouchement.

Pour que la pratique sage-femme soit définie comme une profession, il faut qu’elle se distingue de la médecine et des soins infirmiers. Cela s’est accompagné d’une compréhension de l’autonomie corporelle et du consentement des femmes. Quand j’étais infirmière, les femmes « se faisaient faire des choses », tout simplement. Le rôle des sages-femmes a permis de s’assurer que les femmes s’impliquent dans le processus parce qu’elles ne sont pas malades. Elles sont parfaites et elles sont juste enceintes. L’idée même de la pratique sage-femme était de soutenir l’autonomie corporelle des femmes. Il s’agit de la lutte pour l’égalité des rôles et de la volonté des femmes. Les sages-femmes et les femmes doivent se battre pour cette autonomie.

Quels étaient les défis de la pratique sage-femme dans la région Asie-Pacifique à l’époque et comment ont-ils évolué au fil du temps ?

Les plus grands défis pour l’Asie-Pacifique étaient les longues distances et les différences culturelles entre les pays. Nous n’étions pas cohérents comme les Amériques ou l’Europe ; notre région était vraiment différente ! La communication était importante, et nous y sommes parvenus grâce aux partenariats et aux réseaux. Nous avons lancé une rencontre pendant les conférences triennales Asie-Pacifique, et nous avons été la première région à le faire. Cela a permis de renforcer la confiance entre les associations membres. Nous nous réunissions alors tous les dix-huit mois à l’échelle régionale. La rencontre était accueillie par une association membre de l’AP différente chaque fois.

D’autres régions nous ont suivis dans la démarche et nous avons assisté aux réunions des autres. Nous étions si différents, mais nous voulions tous la même chose. Nous avions tous le même objectif : professionnaliser la pratique sage-femme pour aider les femmes. Je pense que notre volonté commune est largement sous-estimée. De nombreux gouvernements dans les pays en développement s’y associent désormais et reconnaissent que les sages-femmes peuvent sauver et améliorer la vie des femmes et des nouveau-nés.

Quels sont vos espoirs pour les sages-femmes de la région Asie-Pacifique ?

Survivre à la pandémie de COVID-19. Il est très déprimant pour la vieille dame que je suis aujourd’hui de voir comment la COVID a affecté les progrès de certains de ces pays. De nombreux pays, dont la Nouvelle-Zélande, ont ignoré le travail des sages-femmes, fermé les maternités dans les hôpitaux et les ont transformées en hôpitaux COVID. La pratique sage-femme, les mères et les bébés semblent être considérés comme moins importants.

Je pense que tant que la région prend au sérieux son rôle de plaidoyer et d’éducation, elle a toutes les chances de continuer cette révolution de la pratique sage-femme. À mesure que les femmes acquièrent un statut plus élevé, elles choisissent d’autres carrières. Nous devons donc rendre la profession de sage-femme attrayante. Le salaire reste un problème partout.

Quels changements souhaiteriez-vous voir pour les sages-femmes dans le monde ?

Nous devons veiller à ne pas nous affaiblir mutuellement et à travailler ensemble partout où nous avons choisi de le faire. Nous ne devrions pas continuer à saper la pratique sage-femme — par exemple des sages-femmes des hôpitaux qui disaient des choses horribles sur les sages-femmes communautaires et des sages-femmes communautaires qui n’aimaient pas les sages-femmes des hôpitaux. Nous devons simplement nous assurer que nous parlons toujours le même langage et que nous disons toujours : « Je suis dans un endroit différent mais ma philosophie est de donner à cette femme les moyens d’être une bonne mère ». Nous devrions tous nous tenir les uns à côté des autres et nous aider mutuellement. Nous avons besoin d’obstétriciens et de sages-femmes. Je souhaite que les effectifs augmentent afin de garantir un bon ratio sages-femmes/femmes, de manière à réduire le stress et à mettre fin aux comportements d’intimidation provoqués par de mauvais environnements de travail.

Quel rôle déterminant les associations jouent-elles dans le renforcement de la profession de sage-femme ?

Les associations membres sont la clé de la pérennité de la pratique sage-femme. Ils sont la voix des sages-femmes dans cette région ou dans leur pays. La voix internationale [ICM] est également très forte. Vous pouvez transmettre cette voix internationale à votre gouvernement et dire : « Écoutez ce que disent les sages-femmes du monde entier ».

L’ICM a véritablement progressé au cours des 20 dernières années pour évaluer le professionnalisme et la réglementation des associations membres. Tous ces aspects sont vraiment importants.

Les associations sont indispensables pour créer des réseaux, offrir des possibilités de formation, défendre la sécurité sur le lieu de travail et maintenir le professionnalisme. Nous devons voir les associations membres comme la voix des sages-femmes et des femmes pour le meilleur. Elles plaident en faveur d’un environnement propice au travail en partenariat des sages-femmes et pour que les sages-femmes aiment ce qu’elles font. Les environnements de plaidoyer en faveur de la pratique sage-femme facilitent également le travail des sages-femmes. Les sages-femmes ont besoin d’être défendues autant que les femmes.

La pratique sage-femme est politique, nous devons donc l’accepter et utiliser les plateformes politiques pour accroître la visibilité et la durabilité de la pratique sage-femme. Nous ne devons jamais cesser de réclamer l’égalité pour les femmes et les sages-femmes. En tant qu’associations membres, nous devons travailler les uns avec les autres, travailler en réseau, apprendre à connaître les délégués et les présidents des autres associations, partager les ressources et rédiger des mandats ensemble afin que les membres de l’ICM mettent en œuvre les actions pour lesquelles votre pays a besoin d’aide.

Alors que nous célébrons 100 ans de progrès, quels sont vos espoirs pour les AM et l’ICM ?

Les associations membres doivent participer, être actives et se faire entendre. J’ai été membre du conseil d’administration pendant 20 ans. Certaines associations ne nous parlaient pas du tout.

L’ICM a toujours été le réseau universel pour le changement, l’éducation et le plaidoyer. Je pense que l’ICM est probablement notre meilleur espoir de garder la pratique sage-femme professionnelle à un niveau universel. Nous devons protéger la pratique sage-femme afin de protéger l’humanité, car avec la pratique sage-femme, nous avons réussi à protéger les nouveau-nés et nous sauvons des vies. Des femmes fortes et des sages-femmes fortes sont le fondement de chaque nation.