Droits de l’homme, Europe

Une journée avec Eva Vázquez Segura : une sage-femme au cœur des soins trans-inclusifs

ICM
10 décembre 2025

Eva Vázquez Segura est sage-femme en Catalogne, dans le nord-est de l’Espagne. Elle a obtenu son diplôme de sage-femme en 1997 et a passé la majeure partie de sa carrière au sein des Serveis d’Atenció a la Salut Sexual i Reproductiva (ASSIR), les services publics dédiés à la santé sexuelle et reproductive. Encore étudiante en soins infirmiers, elle a tout de suite été attirée par ces services. Un stage dans une clinique ASSIR lui a montré à quoi ressemblaient des soins de santé sexuelle et reproductive respectueux et centrés sur la personne. Lorsque l’Espagne a rouvert les formations en pratique sage-femme après une longue pause, Eva n’a pas hésité. Elle a passé les examens, s’est spécialisée et n’a jamais quitté les soins primaires.

Au fil des ans, Eva est devenue une référence incontournable en matière de santé sexuelle et reproductive inclusive. Parallèlement à son travail au sein de l’ASSIR, elle a obtenu un master en études sur les femmes et le genre, avec une thèse consacrée à la sexualité des personnes transgenres. Ce parcours universitaire lui a permis d’approfondir sa compréhension des obstacles auxquels sont confrontées les personnes transgenres et non binaires dans les systèmes de santé et l’a amenée à contribuer à changer les pratiques de l’intérieur.

En 2016, Eva a rejoint Trànsit, un service public multidisciplinaire pionnier dans le domaine de la santé des personnes transgenres, créé par des sages-femmes et des gynécologues de son propre service ASSIR. Trànsit offre un soutien psychologique, social et médical, des conseils en matière d’hormones, des options de fertilité, notamment la cryoconservation des gamètes et des soins de santé sexuelle et reproductive dans un cadre pleinement affirmatif et dépathologisant pour les personnes transgenres. Depuis 2012, l’équipe a accompagné plus de 7 000 personnes et, en 2017, Trànsit a été reconnue comme le point d’entrée officiel du système de santé publique catalan pour les personnes transgenres.

Le travail d’Eva au sein de Trànsit est étroitement lié à son enseignement à l’Université de Barcelone et à ses recherches doctorales sur la reproduction chez les personnes non binaires. Elle apporte dans ses cours des expériences réelles tirées de ses consultations, soulignant à quel point il est essentiel pour les sages-femmes et autres professionnels de santé de comprendre la diversité des genres, d’éviter les préjugés et de fournir des soins respectueux et inclusifs. Elle considère que son rôle consiste à faire le lien entre la pratique, la recherche et l’éducation afin d’élargir la vision de la pratique sage-femme et de définir à qui elle s’adresse.

Voici une journée dans sa vie :

Deux jours par semaine, je travaille dans le service Trànsit. Ma matinée commence alors tranquillement à la maison. Je me réveille tôt et me prépare une grande tasse de thé noir avec du lait et des toasts avec de l’avocat, des œufs ou de la confiture. J’aime profiter de ce moment de calme pour lire, écrire ou travailler sur ma thèse.

Certains jours entre septembre et décembre, je me rends à l’université de Barcelone pour donner des cours dans le cadre du programme de formation en soins infirmiers axé sur la santé sexuelle et reproductive. J’introduis les thèmes liés au genre et à la diversité sexuelle et je m’efforce de faire en sorte que les étudiants intègrent ces sujets comme des connaissances professionnelles fondamentales et non comme un supplément facultatif. Quand les élèves me disent : « Ce cours était important pour moi », ils valident la portée de ce travail.

Je déjeune tôt, vers 12 h 30, très tôt pour l’Espagne, mais certains jours, je commence à Trànsit à 14 h, alors je m’adapte. J’ai la chance d’habiter suffisamment près pour pouvoir me rendre à pied à la clinique. Cette petite promenade m’aide à me changer les idées et à me préparer pour l’après-midi.

Chez Trànsit, mon travail consiste principalement à réaliser des premières évaluations et des visites de suivi. Une première visite dure environ 90 minutes. Ce moment est essentiel. J’écoute l’histoire de chaque personne : pourquoi elle est venue, comment elle se définit, sa situation familiale et professionnelle, ce dont elle a besoin actuellement et ce qu’elle espère. J’explique toutes les ressources disponibles dans le cadre du service : aide sociale, soutien psychologique si elles le souhaitent, accès à des séances de groupe et à des espaces entre pairs animés par l’équipe Trànsit, informations sur les hormones, accès à des interventions d’affirmation du genre et options pour la préservation de la fertilité.

Les visites de suivi durent généralement 45 minutes. Nous évaluons leur situation, ajustons les plans, répondons à leurs questions ou les accompagnons à travers les différentes étapes de leur transition sociale ou médicale. Beaucoup de personnes ont tardé à se faire soigner en raison de mauvaises expériences passées dans le milieu médical. Il est donc essentiel d’instaurer un climat de confiance.

Une partie de ma journée est également consacrée à répondre à des courriels. Les gens accèdent à Trànsit via une simple adresse e-mail indiquée sur le site web et diffusée auprès des services de santé. Cela rend le service très accessible, mais cela signifie également un volume important de messages : questions sur les traitements, rapports nécessaires pour les médecins généralistes, clarifications sur les tests, demandes de rendez-vous. Répondre prend du temps, mais c’est l’une des raisons pour lesquelles les gens se sentent proches de Trànsit. Ils savent que quelqu’un les lira et y répondra avec respect.

Le mercredi, je suis à Trànsit le matin. Nous commençons tôt, avec des consultations dès 8 h 30. Plus tard dans la matinée, toute l’équipe se réunit. Nous sommes une équipe multidisciplinaire composée de sages-femmes, de gynécologues, de médecins de famille, de psychologues et d’une travailleuse sociale. Notre équipe reflète la diversité des personnes que nous servons et nous en éprouvons une grande fierté. Ces réunions sont essentielles. Nous discutons des cas, partageons nos doutes, examinons les situations complexes et veillons à ce que les décisions soient centrées sur la personne et conformes à notre approche transaffirmative. C’est une équipe soudée et ce sentiment d’avancer vers un objectif commun rend le travail durable.

Le reste de ma semaine de travail se déroule à ASSIR où je fournis des soins de santé sexuelle et reproductive plus généraux : conseils en matière de contraception, dépistage des IST, dépistage du cancer du col de l’utérus, soins prénatals et postnatals. Parfois, j’y vois aussi des personnes transgenres et non binaires. Pour moi, cela fait partie de l’objectif : que tout service de santé sexuelle et reproductive puisse les accueillir en toute sécurité, sans nécessité d’une porte spécialisée.

Quand j’ai fini ma journée, j’essaie de me déconnecter un peu, même si avec le doctorat, ce n’est pas toujours facile. J’aime aller au cinéma, voyager ou dîner avec des amis. Depuis plus de 20 ans, je voyage régulièrement avec un groupe de sages-femmes qui sont pour moi comme une petite communauté. J’ai également traversé mon propre processus de non-maternité, soutenue par un groupe d’entraide. Ces expériences personnelles me rappellent à quel point il est important pour chacun de trouver des espaces où sa vie est comprise et respectée.

Ses réflexions

Ce qu’Eva apprécie le plus dans son travail, c’est tout ce qu’elle apprend des personnes qu’elle rencontre. Écouter les personnes transgenres et non binaires a élargi sa vision du monde et de la pratique sage-femme. Leurs récits révèlent combien les systèmes de santé sont encore marqués par les barrières et les actes de violence quotidiens et à quel point il est urgent de proposer de nouveaux discours sur le corps, l’identité et la famille.

Son travail chez Trànsit l’a inspirée dans ses recherches doctorales. Pendant des années, de nombreuses personnes non binaires et des hommes transgenres lui ont dit qu’ils pensaient que l’adoption était leur seule possibilité d’agrandir leur famille, non pas parce qu’ils ne voulaient pas mener une grossesse à terme, mais parce qu’ils n’avaient jamais vu ou entendu parler d’autres options. Ce manque de références a poussé Eva à étudier leurs expériences et leurs stratégies en matière de reproduction. Pour elle, créer des récits visibles et précis fait partie intégrante du changement de la réalité.

Eva sait clairement ce que les sages-femmes et les autres professionnels de santé peuvent faire dès maintenant :

“Demandez toujours le nom et les pronoms des personnes. Utilisez un langage neutre et référez-vous aux mots que les gens utilisent pour se décrire eux-mêmes et décrire leur corps. Ne jamais faire de supposition sur les relations, les familles ou les corps des gens. N’oubliez pas que toute personne ayant une anatomie et des besoins spécifiques peut bénéficier des soins d’une sage-femme, quelle que soit son identité de genre. »”

Elle utilise souvent des exemples concrets pour illustrer la manière dont les sages-femmes peuvent soutenir les personnes de genre divers et répondre à des besoins parfois négligés par les services de santé, comme les hommes transgenres qui peuvent encore avoir besoin d’examens thoraciques ou mammaires ou de dépistages du cancer du col de l’utérus et les femmes transgenres qui peuvent avoir besoin d’un dépistage du cancer du sein, d’un soutien pour leur néovagin ou d’une lactation induite.

Son rêve est simple et ambitieux : voir les services tels que Trànsit devenir inutiles, et voir chaque sage-femme, chaque médecin généraliste, chaque pédiatre et chaque spécialiste formé et capable de fournir des soins de santé sexuelle et reproductive inclusifs et affirmant l’identité transgenre. Un monde où les personnes transgenres et non binaires peuvent accéder à des soins près de chez elles, sans crainte, sans stigmatisation et dans le respect total de leur dignité.

Le monde a besoin Un Million de sages-femmes de Plus

 

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