Action humanitaire et changement climatique, Afrique

Les sages-femmes soutiennent les survivantes de violences basées sur le genre au Burundi

ICM
10 décembre 2025

On estime à 840 millions de femmes, soit près d’une sur trois à l’échelle mondiale, le nombre de victimes de violences physiques ou sexuelles au moins une fois dans leur vie. Les femmes qui ont subi des violences basées sur le genre (VBG) sont plus susceptibles de souffrir de dépression, de troubles anxieux, de grossesses non désirées, d’infections sexuellement transmissibles et du VIH.

L’année dernière, le Burundi a été confronté à une crise économique sans précédent, plus de la moitié de la population vivant dans la pauvreté et souffrant de pénuries de carburant, d’eau et d’électricité. Ces pénuries ont eu un impact direct sur les services publics, notamment sur la prestation des soins de santé.

Pendant ce temps, alors que le conflit continue dans les régions orientales de la République démocratique du Congo, des milliers de personnes ont traversé la frontière pour se réfugier au Burundi, un mouvement que le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNCHR) décrit comme le plus important afflux que le pays ait connu depuis des décennies.

Dans ce genre de situation, les crises interdépendantes, notamment le changement climatique, les conflits et l’instabilité économique, intensifient la violence basée sur le genre, les femmes étant exposées à des risques disproportionnés et à des formes multiples et croisées de discrimination.

Dans ce contexte et dans le cadre des 16 jours d’activisme contre la violence basée sur le genre, nous souhaitons mettre en avant le travail exceptionnel réalisé par l’association Midwife in Action au Burundi. En étroite collaboration avec l’UNFPA, le département Genre du gouvernement du Burundi et des organisations locales, l’association fournit des services essentiels en matière de santé sexuelle, reproductive, maternelle, néonatale et adolescente, en mettant particulièrement l’accent sur les soins centrés sur la personne pour les survivantes de violences basées sur le genre.

Les sages-femmes fournissent des soins vitaux dans les zones de conflit et les camps de réfugiés

Les sages-femmes qui travaillent dans les zones touchées par des crises et les camps de réfugiés jouent un rôle crucial dans la fourniture de soins médicaux et psychologiques aux survivants des conflits et des violences basées sur le genre. Leur travail consiste notamment à soutenir les soins prénatals et postnatals, à offrir des services de planification familiale, à assurer un dépistage systématique des infections sexuellement transmissibles (IST), à vacciner les nouveau-nés et à dispenser une éducation en matière de santé sexuelle et reproductive (SSR) aux jeunes.

Grâce à leurs cliniques mobiles, les sages-femmes peuvent atteindre tous les membres de la communauté et leurs vestes roses distinctives les rendent facilement reconnaissables. Augustin Harushimana, président de la Midwives in Action Association (MAA) au Burundi, explique qu’au fil du temps, les gens ont compris que les sages-femmes offraient des soins holistiques et centrés sur la personne. Leurs services ne se limitent pas à la santé maternelle et néonatale et s’étendent aux services de santé sexuelle et reproductive et aux interventions d’urgence de première ligne.

“Pendant les crises, les grossesses se poursuivent, tout comme nos responsabilités” Augustin Harushimana, MAA President 

La VBG a des effets dévastateurs sur la santé physique, sexuelle et reproductive, et elle a de graves répercussions sur la santé mentale et le bien-être psychologique.

Dans les communautés du Burundi, la VBG suscite la peur et limite la participation des femmes à la vie publique, ce qui constitue un obstacle majeur à l’égalité des genres. Au sein des familles, cela nuit souvent aux relations et peut conduire à la séparation ou au divorce suite au manque de compréhension mutuelle et à la détresse liée au traumatisme. La violence fondée sur le genre laisse des cicatrices visibles et invisibles qui affectent les individus, les familles et la société dans son ensemble.

Services de soins physiques et émotionnels pour les survivants de violences basées sur le genre

La situation complexe qui touche le Burundi, en particulier dans les zones frontalières avec la RDC, a entraîné une augmentation notable de la violence fondée sur le genre. En réponse, la MAA a mis en place des services dédiés aux survivants.

Ils assurent la prise en charge immédiate des cas de violence sexuelle, notamment la prévention des IST (telles que le VIH, la syphilis et autres), la prévention des grossesses non désirées grâce à la contraception d’urgence et le suivi des grossesses résultant de violences basées sur le genre. Les sages-femmes étant souvent les premières interlocutrices des survivantes, la MAA travaille en étroite collaboration avec une équipe de psychologues afin d’offrir une écoute active et un soutien psychologique de base. Elles effectuent également des suivis réguliers pour réduire l’isolement et renforcer la résilience, et organisent des séances d’écoute en groupe et des ateliers de guérison des traumatismes afin de favoriser le soutien mutuel entre les survivants.

Afin d’étendre leur portée à l’ensemble de la communauté, ils sensibilisent la population aux droits en matière de santé sexuelle et reproductive, fournissent des conseils sur les mécanismes de signalement et les services de protection disponibles, et offrent des services de conseil personnalisés adaptés à la situation de chaque survivant.

Les femmes se sentent en sécurité avec les sages-femmes et peuvent partager ouvertement leur histoire. Chaque sage-femme est formée pour identifier, prendre en charge et orienter les survivantes vers des psychologues lorsque des soins de santé mentale plus approfondis sont nécessaires. Nous faisons le lien entre le rétablissement médical, émotionnel et communautaireexplique Augustin. 

Les défis

Travaillant dans les centres de transit où les réfugiés arrivent, la MAA rencontre des personnes en état de choc profond dont beaucoup ont perdu des êtres chers, leur maison et leur dignité. De nombreuses femmes déclarent avoir été violées pendant le conflit.

Parmi les défis courants, on peut citer :

  • Les tabous culturels et la stigmatisation: la MAA s’efforce de lutter contre ces phénomènes en menant des campagnes de sensibilisation et d’information continues auprès des communautés.
  • La peur de l’exclusion ou du rejet: elle mobilise les leaders communautaires et religieux pour briser le silence autour de la violence basée sur le genre, en les formant comme agents de prévention et de soutien.
  • Le nombre limité de professionnels formés: afin de renforcer leurs compétences, ils organisent des sessions de partage d’expériences entre les prestataires de services afin de rester à jour dans la gestion des cas de VBG.
  • Les besoins fondamentaux non satisfaits: il est extrêmement difficile d’aider une personne privée de nourriture ou d’abri. C’est pourquoi la MAA coordonne ses efforts avec ses partenaires humanitaires afin de garantir que ces besoins soient satisfaits en priorité.

Malgré les contraintes, les sages-femmes veillent à ce que les survivantes soient écoutées, prises en charge et orientées vers un soutien continu.

La collaboration avec des psychologues

Au départ, la clinique mobile des sages-femmes ne comptait pas de psychologue. Cependant, dès la première journée de service, l’équipe a reconnu leur importance. Aujourd’hui, la collaboration avec des psychologues est systématique.

Ils utilisent des protocoles d’orientation clairs, partagent les informations essentielles tout en respectant la confidentialité et coordonnent le suivi et l’accompagnement des survivantes. Les psychologues fournissent des soins de santé mentale et aident à adapter les plans de traitement en fonction des progrès psychologiques de chaque survivant. Les sages-femmes et les psychologues se complètent mutuellement : ensemble, ils assurent la continuité des soins et la guérison.

Impliquer la communauté

La MAA implique les membres de la communauté à chaque étape en sensibilisant à la VBG et en encourageant les survivantes à rechercher immédiatement des soins afin de prévenir les IST et les grossesses non désirées.

Elle forme et mobilise également les leaders communautaires en tant qu’agents du changement, brisant les tabous et contribuant à lutter contre la VBG. Des ateliers, tables rondes et conférences sont organisés régulièrement, souvent avec la participation de survivants prêts à témoigner publiquement.

Prendre soin de l’équipe

 

 

 

Travailler dans des zones touchées par des crises expose les sages-femmes et les professionnels de santé à des niveaux élevés de stress, de traumatismes et d’épuisement émotionnel, rendant indispensables les stratégies visant à prévenir l’épuisement professionnel et les traumatismes.

Dans le cadre de ce programme, les sages-femmes travaillent en deux équipes alternant une semaine de travail, une semaine de repos, afin de leur permettre de se reposer et de récupérer. Elles s’entraident et se soutiennent mutuellement, restent en contact grâce à des groupes WhatsApp et partagent régulièrement leurs expériences.

La MAA organise également des activités récréatives telles que des pique-niques et des journées à la plage près du lac afin de favoriser la détente et la cohésion de l’équipe. Elles encouragent la communication ouverte et l’expression des émotions, et impliquent les familles dans le soutien au bien-être du personnel.

Prendre soin de soi est essentiel pour continuer à prendre soin des autres avec empathie et force

Améliorer les services d’intervention en matière de VBG au Burundi

Augustin explique qu’ils envisagent un Burundi où chaque survivant bénéficie de soins compatissants, rapides et complets. Pour y parvenir, ils espèrent :

  • Renforcer les capacités des professionnels de santé, notamment les sages-femmes, pour une prise en charge intégrée et sensible de la VBG.
  • Sensibiliser la communauté afin de réduire la stigmatisation et encourager la dénonciation
  • Augmenter les ressources financières et matérielles consacrées à la prévention et à la lutte contre la VBG
  • Promouvoir l’autonomisation des survivants grâce à la formation, aux perspectives d’emploi et au soutien psychosocial.
  • Continuer à positionner les sages-femmes comme des leaders fiables et compétentes dans la lutte contre la VBG à travers le pays.

 

À l’intention des autres sages-femmes qui travaillent avec des victimes de VBG dans des contextes de conflit ou de réfugiés, la MAA recommande ce qui suit :

Préparez-vous grâce à la formation et à l’apprentissage continu. Collaborez avec d’autres personnes : personne ne peut lutter seul contre la VBG. Comprenez que soutenir les survivants est un processus, et non un service ponctuel. Commencez par écouter activement : cela renforce le sentiment de sécurité et aide les survivants à reprendre confiance en eux. Soyez disponible, compatissant et prêt à orienter les personnes vers d’autres services si nécessaire. N’attendez pas les conditions idéales – commencez avec ce que vous avez, travaillez avec votre cœur, et vous recevrez davantage de soutien.

— Midwife in Action’s Association Burundi