Un espace sûr pour les jeunes : les sages-femmes lettonnes ouvrent la voie
Les sages-femmes sont souvent considérées comme les intervenants professionnels lorsqu’un bébé est en route pour guider les femmes pendant la grossesse, l’accouchement et les premiers jours du post-partum. Mais leur travail va bien au-delà de ce moment. Les sages-femmes sont des prestataires de soins de santé sexuelle et reproductive essentiels. Elles offrent conseils, éducation, contraception, soins d’avortement, soutien prénatal, promotion de la santé et soins continus aux femmes et aux nouveau-nés.
Pour les jeunes en particulier, les sages-femmes peuvent être une source fiable de connaissances, créant des espaces sûrs où ils peuvent poser des questions, briser les mythes et obtenir des informations fondées sur des données probantes pour mieux comprendre leur corps et faire des choix éclairés concernant leur avenir.
Dans cet objectif un groupe de sages-femmes, Santa Linda Liepiņa, Karīna Mailīte-Barkāne, Zane Zaķe, Elīna Kronberga et Kintija Vīksne, à Riga, en Lettonie, a lancé un projet offrant soutien et consultations aux jeunes de toute la ville. Pendant la première année, le projet était mobile, les sages-femmes visitaient les centres de jeunesse de la ville pour fournir des consultations et des séances de groupe. Elles espèrent, à l’avenir, ouvrir une clinique dédiée où les jeunes pourront accéder aux soins et au soutien dans un lieu central et fiable.
Nous avons discuté avec trois sages-femmes au cœur de ce projet, Santa Linda, Karīna et Zane, afin d’évoquer la première année du projet et l’apport notable de cette initiative inspirante pour de nombreux jeunes lettons.
Comment est né le projet ?
Karīna : L’idée est venue de notre Latvian Midwives Association et surtout de sa présidente, Linda Veidemane, qui nous a toujours encouragés à croire au potentiel de notre profession et en nos compétences.
En examinant la situation dans notre ville, nous avons réalisé que nous partions de l’hypothèse que les jeunes avaient les deux parents, qu’ils recevaient des connaissances et des conseils de base. Mais de nombreux jeunes vivent en dehors des soins familiaux et eux aussi ont besoin de soutien et de soins.
Santa Linda : Alors, en collaboration avec la Latvian Midwives Association et le conseil municipal de Riga, nous avons lancé le projet « Les sages-femmes soutiennent les jeunes ».
Nous fournissons des consultations ainsi qu’un soutien émotionnel, informationnel et éducatif aux jeunes. Nous travaillons en étroite collaboration avec le Centre de soutien social pour les enfants, les jeunes et la famille de Riga. Bon nombre des jeunes que nous soutenons ont des besoins de santé modérés à complexes et vivent dans des structures d’accueil hors de leur foyer. Ils peuvent avoir jusqu’à 25 ans, mais nous soutenons également leurs tuteurs, parents d’accueil et aidants pour faciliter une transition en douceur vers une vie autonome en dehors du système. De plus, nous travaillons avec des femmes ayant de jeunes enfants et des femmes enceintes dans des situations vulnérables.
Pourquoi est-il important d’avoir cette initiative à Riga ?
Santa Linda : C’est la première fois qu’un tel projet est mis en œuvre en Lettonie, et c’est un nouveau défi pour nous. En tant que sages-femmes, il est souvent difficile de prouver toute la portée de notre activité et notre profession reste sous-estimée à bien des égards. Les gens ont tendance à penser que nous ne travaillons que dans les maternités, cette image vient de notre histoire, mais nous voulons montrer une image différente.
Zane : Nous voulions également inspirer d’autres sages-femmes, dans notre ville et dans toute la région, à ne pas se limiter à travailler dans un seul domaine. En tant que sages-femmes, nous avons les connaissances et l’expertise nécessaires pour fournir un soutien à différentes étapes de la vie. Il est particulièrement important d’éduquer les jeunes qui n’ont pas bénéficié de soins familiaux sur les questions liées à la santé reproductive, à l’hygiène personnelle, aux infections sexuellement transmissibles (IST), à la santé menstruelle et à d’autres sujets pertinents pour leur bien-être.
Comment fonctionne la clinique ?
Karīna : Cinq sages-femmes fournissent des consultations, et nous collaborons avec les travailleurs sociaux. Ils nous aident avec des cas individuels et facilitent la communication avec les jeunes. Nous apprenons également ensemble comment fournir des soins personnalisés pour renforcer la confiance. Comme nous travaillons habituellement avec des familles dans les hôpitaux, c’est une nouvelle expérience pour nous aussi.
Santa Linda : En fait, beaucoup de jeunes que nous rencontrons luttent contre l’anxiété ou ont subi des abus ou des violences sexuelles. Parfois, nous collaborons également avec des conseillers juridiques pour assurer une approche globale des soins.
Nous proposons des séances de groupe et des consultations individuelles pour les jeunes sur des sujets tels que l’hygiène, les menstruations, les rapports sexuels protégés, la contraception, les IST et la grossesse. Lors de consultations privées, ils peuvent discuter de problèmes de santé personnels, recevoir des conseils et, si nécessaire, être orientés vers des spécialistes. Comme le projet ne dispose pas encore d’une clinique dédiée aux sages-femmes équipée d’appareils de dépistage, nous les guidons dans les étapes suivantes, par exemple le dépistage des IST, gratuit en Lettonie pour les moins de 25 ans.
Une clinique physique pour les jeunes rendrait ce processus plus simple et plus sûr et permettrait aux sages-femmes de fournir des dépistages, des traitements et des soins continus dans un lieu de confiance. Pour beaucoup, en particulier les jeunes adolescents, il est également plus facile de parler des changements corporels avec les sages-femmes qu’avec leurs soignants.
Quel est l’impact du projet ?
Zane : Nos discussions de groupe durent généralement deux heures. Nous utilisons des flashcards, des sessions interactives sur Kahoot et nous analysons différents scénarios. Cela permet de maintenir l’intérêt : le contenu est intéressant et les conversations sur des sujets difficiles peuvent s’animer. Au cours de ces séances, beaucoup trouvent le courage de poser des questions qu’ils n’oseraient pas poser à leurs travailleurs sociaux ou à leurs enseignants.
Santa Linda : En Lettonie, les écoles ne proposent pas de cours spécifiques sur l’éducation à la santé, de sorte que de nombreux jeunes ont peu de connaissances en matière de santé sexuelle et reproductive. L’accès à des informations fiables est très limité, souvent les élèves apprennent sur TikTok des idées inexactes.
Nous pensons que le projet fonctionne parce qu’ils ne nous considèrent pas comme des conférenciers ou des médecins donnant des instructions. Ils se sentent en sécurité et savent que nous ne les jugerons pas.
Nous essayons également de changer la façon dont ils perçoivent les professionnels de la santé. Beaucoup de jeunes ne font pas confiance aux médecins, aux dentistes ou autres prestataires et évitent donc les bilans de santé. Nous leur montrons qu’il est important de prendre soin d’eux-mêmes et qu’ils peuvent nous faire confiance.
L’histoire d’une réussite
Zane : L’année dernière, une fille de 16 ans nous a été envoyée en consultation par des travailleurs sociaux. Elle était enceinte mais voulait avorter. Elle était jeune et ne savait pas comment suivre ses cycles menstruels avec précision et elle est arrivée à la clinique au-delà du délai légal pour l’avortement en Lettonie.
Elle avait très peur d’être jugée, mais elle voulait comprendre ce qui se passerait pendant sa grossesse et après l’accouchement.
Comme la situation était délicate, j’ai consulté mes collègues et mis en place une supervision afin de fournir les meilleurs soins possibles.
Tout au long de nos séances, nous lui avons donné les informations dont elle avait besoin et avons créé un espace où elle pouvait poser librement toutes ses questions. Après la naissance du bébé, elle nous a dit que, grâce au soutien et aux informations qu’elle avait reçus de nous et les travailleurs sociaux, elle se sentait maintenant prête à prendre soin de son bébé seule.
Quelles difficultés avez-vous rencontrées au cours de cette première année ?
Zane : Je dirais que le principal défi réside dans la perception qu’a le public du rôle d’une sage-femme et de ce que nous pouvons apporter aux jeunes. Voilà pourquoi le plaidoyer représente une si grande partie de notre travail. Par exemple, tous les deux mois, nous organisons des présentations pour les travailleurs sociaux et le personnel des centres de jeunesse afin d’expliquer la portée de la pratique sage-femme et leur permettre de partager ces connaissances avec les jeunes et les familles. Nous organisons également des séances en ligne pour améliorer leurs connaissances sur la santé reproductive.
Le soutien financier représente un autre défi majeur. Le projet se poursuivra jusqu’en décembre 2025, mais nous n’avons pas encore les ressources nécessaires pour développer ou établir une clinique physique permanente dirigée par une sage-femme. C’est pourquoi nous recherchons des partenaires et des organisations qui pourraient nous aider à l’avenir.
Comment voyez-vous l’avenir de ce projet ?
Santa Linda : L’initiative se poursuivra jusqu’à la fin de cette année, mais nous espérons que la collaboration et les partenariats nous permettront de poursuivre mais aussi d’ouvrir la toute première clinique dirigée par une sage-femme à Riga.
Notre ambition est d’avoir une clinique physique gérée par des sages-femmes, travaillant aux côtés d’autres professionnels de la santé et des services sociaux comme des gynécologues, des psychologues, des travailleurs sociaux et des pédiatres. Cela permettrait aux jeunes, aux familles et aux femmes d’accéder plus facilement à des soins personnalisés et de confiance en un seul endroit. Dans les situations délicates, les familles n’auraient pas besoin de se rendre séparément dans les hôpitaux pour enfants, les sages-femmes, les services sociaux et les psychologues elles pourraient simplement recevoir tous les soins dont elles ont besoin dans une seule clinique. Nous voulons également élargir nos services, pour permettre à tous ceux qui en ont besoin de venir chez nous.
Les consultations de pratique sage-femme dans une clinique pour jeunes permettraient d’alléger la lourde charge de travail des gynécologues en Lettonie où les délais d’attente pour les rendez-vous financés par l’État peuvent atteindre plusieurs mois. Dans leur champ de pratique, les sages-femmes pourraient gérer de nombreux cas de manière indépendante, ce qui permettrait aux médecins de se concentrer sur les patients ayant vraiment besoin de soins spécialisés. Au cours de la dernière année, grâce à nos consultations et discussions, nous avons constaté que les sages-femmes peuvent répondre à la plupart des questions des jeunes femmes sur les douleurs menstruelles, les produits sanitaires, les normes de cycle et la contraception.
Nous avons récemment vécu une expérience incroyable grâce à Karin Emtell Iwarsson qui nous a donné l’occasion de visiter deux cliniques de santé pour les jeunes à Stockholm, la Solna Ungdomsmottagning et l’Odenplans Ungdomsmottagning. Cette visite illustre parfaitement cette collaboration. Elle nous a apporté motivation, inspiration et des idées précieuses de nos collègues suédois. Nous sommes revenus pleins d’idées et d’énergie pour faire encore plus pour les jeunes en Lettonie.
Nous espérons élaborer plus de partenariats comme ceux-ci, des collaborations qui relient les sages-femmes du monde entier et en inspirent d’autres.
Nous sommes vraiment une équipe de rêve et nous encourageons les autres sages-femmes à commencer par de petits pas. Avec les connaissances dont elles disposent, elles peuvent accomplir tellement de choses !
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